CHATEAU DE SENAUD

18 janvier 2013

Augustin m'avait laissé, et je le remercie, un message concernant une petite histoire mettant en scène l'ancêtre de nos vélos ainsi que ces premiers sportifs à se lancer sur nos routes. Reliant Valence au Chateau de Senaud sur la commune d'Albon, ces ancêtres de nos coureurs de la grande boucle, inauguraient le "cyclotourisme". Quant à la première course en vélocipède, elle aura lieu au Parc de St Cloud le 31 mai de la même année !!!

Cela m'a donné l'idée de vous faire profiter du récit qu'en a fait Augustin Argaud parti avec dix autres membres du "véloce club" de Valence, le "premier" créé en France en mars 1868

Promenade au château de Senaud par le Véloce-club de Valence, 19 mai 1868.

Source : Arch. dép. Drôme,

“ Compte rendu d’une course en vélocipède au château de Senaud (Canton de St-Vallier, Drôme) , dans la journée du 19 mai de l’an de grâce 1868 ”.

AVIS

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Pour comprendre le récit qui va suivre, je crois qu’il est bon d’expliquer que, pour la journée du 19 mai 1868, M. le Baron et Mme la Baronne de Bernond avaient eu la gracieuseté d’inviter à dîner, en leur château de Senaud, MM. Les membres du Véloce-club de Valence.

Les uns s’y rendirent en chemin de fer, et treize autres en vélocipèdes. Dans le trajet, l’un d’eux a eu son véloce brisé par une vibration à la tige verticale qui soutient le gouvernail et, en se séparant, l’une des deux roues de cet instrument, celle de devant, est allée frapper celle de derrière d’un second véloce qui, par ce choc, a eu un rayon brisé.

PRÉFACE

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Ce que j’écris, je l’écris pour mes amis, mes chers amis du Véloce…

DÉDICACE

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À tous ceux qui ces présentes liront et qui, suivant leur fortune le pourront, le Véloce-club de Valence, qu’anime le souffle divin de la charité, demande l’obole de Bélisaire, pour soulager le malheureux, attendu que cette bluette est donnée et non vendue…

"C’était hier fête à Senaud : treize vélocipèdes, montés par treize cavaliers, partis de Valence, ma chère patrie, chaussés de grosses bottes

( Précision : la roue pouvait frotter contre les mollets du conducteur en tournant. C'est pourquoi la plupart des vélocipédistes portaient des bottes)

et dans des costumes aussi pittoresques que variés, couverts d’une noble poussière et ruisselants de sueur, ont eu la gloire de toucher au perron du château, où les attendait la main gracieuse de l’hospitalité.

Tout a été beau :

Le soleil répandait sur le monde l’éclat de sa vive lumière ;

Sous ses reflets magiques, les aiguilles élancées du château brillaient comme les pics glacés des Alpes, à la chute d’un jour d’été ;

Dans d’épais bocages, les oiseaux chantaient les premiers amours du printemps ;

Des poissons familiers, que n’a jamais effrayés le filet du pêcheur, venaient par bandes sur le bord des étangs témoigner de leur étonnement ;

La corne d’abondance versait…, versait sans cesse…, sur la table du festin, ses trésors les plus rares comme les plus exquis ;

Les gras troupeaux de la ferme rustique attestaient la présence de la houlette d’un sage pasteur ;

Le chien fidèle, après ses premiers aboiements, venait, d’un air soumis, lécher timidement et tour à tour la figure et les mains de ces nouveaux voyageurs ;

Et trois jeunes filles, blondes comme leur bonne mère, enfants du vieux manoir, joie et consolation de parents bien-aimés, papillonnaient ensemble, vêtues de robes blanches et de ceintures bleues : ainsi, autrefois, l’heureuse antiquité a dû voir danser les trois Grâces se tenant par la main.

Beau aussi a été le retour ; du haut de sa tourelle, l’aimable châtelaine, en voyant disparaître à l’horizon ces brillants cavaliers, disait : “ Honneur au plus vaillant. ”

Et eux, agitant leurs plumets, répondaient : “ Honneur à la plus noble. ”

Dans cette splendide sortie, le premier preux de cet escadron de preux a eu un cheval tué sous lui. Grand a été le danger, plus grand encore le courage ; debout il est resté, plus fier qu’un fier Sicambre, au milieu des membres épars et palpitants de son véloce expirant. Tel un chêne aux profondes racines brave l’effort de la tempête.

Mais Théovelox ¹⁶²² , dans ses décrets éternels, a bien voulu permettre qu’un jeune néophyte, plein de zèle et d’ardeur, B… (puisqu’il faut l’appeler par son nom), fût là pour le secourir, et c’est sur Benoiton ¹⁶²³ , rossinante nouveau, suivi du Vaillant et du Capricieux ¹⁶²⁴ , que ce noble guerrier a pu continuer sa course plus rapide que le démon de la vapeur, plus rapide que la flèche du Parthe ou du Mède.

La cité de Tain venait d’être franchie ; la plaine, avec sa végétation luxuriante, se montrait devant nous ; à gauche était le Rhône, roulant majestueusement des ondes que nous proscrivons, nous, amis du véloce, tandis qu’à droite se dressait orgueilleusement le coteau philovélocipédiste ¹⁶²⁵ , le Véloce tout entier, sous les ordres du Grand Capi, et où brillaient l'Éclair ¹⁶²⁶ , le Tonnerre, l’Ouragan, la Tempête, le Cyclone, superbes gladiateurs ¹⁶²⁷ des temps présents, filait, chassé par le vent (il n’en faisait point), avec une vitesse (approximative) de 20 nœuds à l’heure, quand tout à coup un bruit sourd s’est fait entendre, la terre a frémi, le ciel ne s’est pas obscurci, mais les ondes ont un instant suspendu leur cours, la brise muette et silencieuse s’est arrêtée sur la cime des champs que protège la blonde Cérès ¹⁶²⁸ , et Ragotin ¹⁶²⁹ s’est cassé le cou……………

Infortunate puer ? ………………………………………………………………….. .

……..Quel malheur !… son père, cependant, son père, aimé comme toujours est aimé un père, fondant sur son enfant les plus riches espérances, l’avait fait élever, avec soin, dans les gras pâturages de la vallée du Grésivaudan ¹⁶³⁰ !

On raconte qu’à table, dans la fureur du combat, la hache d’un sapeur a mieux fait que le chassepot à Mentana. Qui dira les pièces démantelées !……..Qui dira les flots desséchés !

On raconte encore qu’au retour de cette brillante fête, une autre Armide ¹⁶³¹ , montée sur son vélo, aurait été vue dans l’ombre, poursuivant son infidèle Renaud.

Mais, Infandum, regina, jubes renovare dolorem !

Mais j’oubliais de dire qu’en fuyant le cuclos ¹⁶³² Ragotini est allé frapper si malheureusement le cuclon arrieris ¹⁶³³ de Bouton d’or ¹⁶³⁴ , que notre brave, mais infortuné Rollando, un noble cœur, a vu, avec une douleur amère, voler en éclats radium rotae suae ¹⁶³⁵ .

Nymphes des eaux, déesses des forêts, pleurez !!!

Bouton d’or, cet orgueilleux parisien ¹⁶³⁶ , est tel aujourd’hui que la plus jolie femme, à laquelle… une main… inhumaine… et barbare… aurait… (prenez bien garde, Mesdames, qu’un pareil malheur ne vous arrive jamais)… arraché… une DENT… de DEVANT !… Horribile visu ¹⁶³⁷ !!!…

……. Naguère Bouton d’or avait la beauté de la vertu, maintenant il a la laideur du vice.

Ainsi passe la rose.

Ainsi passe la beauté.

Sic transit gloria Velocis ¹⁶³⁸ .

Grand enseignement, mes frères !… Dieu seul est éternel.

Deus solus manet in aeternum.

LE MOT DE LA FIN

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Et maintenant, à ceux qui ayant lu oseraient dire : “ bien ou assez bien ”, je répondrai en toute humilité de cœur, d’esprit et de vérité : “ la louange corrompt le cœur de l’homme ”, à moi donc la poussière et la gloire à Dieu.

Gloria in excelsis Deo !

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CONCLUSION

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Et sur ce, cher lecteur, salut.

Amice lector, tibi salutem.

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N.B.- Les personnes charitables qui voudraient bien donner un libre cours à la générosité de leur cœur et se rendre à notre appel pour soulager l’infortune, sont priées de s’adresser à M…. (il n’est pas encore nommé)…, illustre patricien de Valence, grand secrétaire de la Trésorerie générale de l’Ordre du Véloce, et leur nom sera inscrit en lettres d’or sur le livre de vie de ce corps nouveau et de l’Éternité.

Un serviteur de Dieu et des malheureux

ici-bas, bon ami, bon fils, bon frère,

bon français et bon valentinois.

Augustin Argaud.

Valence, 20 mai 1868.

Notes

1622.

Théovelox, dieu du Véloce.

1623.

Benoiton, nom de véloce. Allusion au Benoiton de Sardou.

1624.

Vaillant et Capricieux, noms de vélocipèdes.