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Beausemblant d'hier
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26 septembre 2015

UN JOUR PAS COMME LES AUTRES - L'ECOLE suite 4

Monsieur Achard regarde un instant la voiture s’éloigner tout en bourrant sa pipe, et songe aux attitudes des habitants,  aux conversations qu’il a eu les jours précédents et à ce dernier jour d’école, avant de libérer ses élèves :

 -          Les enfants… avant de vous laisser sortir, j’aimerais que vous m’écoutiez encore 5 minutes.

Il cherche les phrases, des mots simples qui pourront expliquer autant que ce peut, la situation.

L’air grave de l’instituteur impressionne les élèves. Ils sentent qu’ils vivent un instant particulier, qui n’a rien de comparable avec les joyeux derniers jours d’école des années précédentes.

 

-          Vous avez certainement compris que la France vit des moments importants. Cela fait déjà plusieurs années, mais surtout ces derniers jours, que l’Autriche et  l’Allemagne cherche à faire la guerre à d’autres pays. Notre pays, ceux qui nous gouvernent, cherchent par tous les moyens à éviter cette guerre : aujourd’hui,  cela ne dépend plus de nous. Mais nous sommes un grand pays et nous avons de grands amis : L’Angleterre et la Russie… Nous pouvons espérer que cela fera peur à l’Allemagne. Vos vacances arrivent au bon moment car vos papas vont peut être devoir s’absenter quelque temps de la maison, de la ferme… Vos mamans, votre famille auront certainement besoin de votre aide. Alors soyez gentils, obéissez et aidez du mieux que vous le pouvez. Que les plus grands aident aussi les plus petits.  Les jours prochains de grandes décisions vont être prises… Il faut que vous soyez courageux et prêts à affronter cette crise à venir…

L’enfant Dideron lève le doigt. M. Achard ne semble plus le voir, le regard déjà tourné vers demain. Fixant son maître, l’incompréhension dans les yeux de l’enfant face à cette situation, René reste la main en l’air. Depuis qu’il enseigne, chaque année revient invariablement le cours d’histoire, où après toutes les victoires de l’histoire de France, on aborde celle perdue de 1870. Comme dans une partie de carte ou de boule, quand on perd, il y a toujours une, « la revanche »; en ce qui concerne celle-ci, on en parle depuis quarante ans. Si la commune avait eu les moyens, on aurait pu avoir des fusils en bois pour apprendre aux élèves à défiler, à manœuvrer. Les bataillons scolaires supprimés en 1892, les exercices sont remplacés par de la gymnastique afin de conserver, si ce n’est pour le forger, l’esprit de combat dans ces petites têtes blondes, uniquement dans un but, cette revanche.

Soudain, M. Achard prend conscience du silence étonné de la classe et du bras levé. Le  buste presque couché sur le pupitre du bureau, fatigué par la position, R. Dideron soutient l’avant bras de sa main opposée

-          Oui, qu’est ce que tu veux, René ?

-          Mon Grand Père, il a fait la guerre et il a dit « que depuis qu’ils nous embêtent qu’il faudra bien un jour leur mettre une  raclée  et qu’il faut faire pleuvoir sur eux comme à  Grelotte pour le venger! »

-          « Gravelotte »  Roger, pas grelotte, et la classe de rire de cette confusion (1)

-          Allons, allons ! du calme, l’heure n’est pas à la rigolade. Ton grand père est un patriote, un  français courageux et nous lui devons bien de l’être autant que lui. Vous savez ce que l’on va faire ? Maintenant, vous allez vous lever… en silence… et nous allons chanter la Marseillaise…(2)

-          « Allons z'enfants de la patriiie..  »

Jamais Marseillaise ne fut chantée avec autant d’ardeur, des autres classes le silence se fit, juste le temps de prendre la mesure et d’y ajouter des voix plus enfantines, de reprendre en chœur l’hymne de la France, toute l’école vibre au son guerrier du chant.

Le père Faure qui boitillait le long de l’école, surpris par les  premières notes qui lui parviennent au dessus du mur, s’arrête, et écoute les yeux fermés. Il ne sait dire si la larme qui mouille sa joue est due à l’effet produit par les voix aiguées de toute cette jeunesse qui s’époumonent, ou déjà, en prévision des malheurs qui vont immanquablement frapper la douceur du village.

Les quelques mamans présentes esquissent un sourire : On peut compter sur les petiots.

Les enfants sont sortis comme d’habitude en courant et en criant, mais empreints d’une fierté inconnue jusque là : ils se sentaient déjà plus grands, plus courageux, prêts à affronter ces vacances soucieuses.

 

(1) .expressio.fr/expressions/tomber-comme-a-gravelotte.php

(2) l’Appel de Guerre en Dauphiné (1915) - Rochegude -

 

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